Ridelles et bonheurs du soir

Demain est le premier jour du temps qui me reste à vivre. Quand ce temps qui reste à vivre diminue, ce demain devient précieux et mérite qu’on y accorde une importance accrue. Et s’il nous échoyait d’inventer cette médecine à jour frisant susceptible de réinstaller nos aînés dans leur véritable existence et non dans une vie par procuration?

Ma photo
Nom :
Lieu : Anderlecht, Bruxelles, Belgium

samedi, mars 11, 2006

Les âges de la vie

"La comparaison des quatre saisons de l’année avec les quatre âges de la vie est une vénérable sottise. Ni les vingt premières années de la vie, ni les vingt dernières ne correspondent à une saison, si l’on ne se contente pas, pour la comparaison, de la blancheur des cheveux et de la neige, ni de semblables jeux de palette. Ces vingt premières années sont, en somme, une préparation à la vie, à toute l’année de la vie, sorte de long jour de Nouvel An ; et les vingt dernières années embrassent d’un seul regard, intériorisent, joignent et accordent ensemble tout ce que l’on a pu vivre auparavant, comme on le fait, en petit, chaque soir de la Sylvestre pour tout l’année écoulée. Mais le fait est que, dans l’intervalle, se place une période qui suggère tout naturellement la comparaison avec les saisons ; c’est la période de la vingtième à la cinquantième année ... Ces trois fois dix ans correspondant à trois saisons : l’été, le printemps et l’automne - d’hiver, la vie humaine n’en a pas, à moins que l’on ne veuille appeler l’hiver de l’homme les périodes de maladie, âpres, froides, solitaires, désolées, infécondes, qui s’y insèrent assez souvent.

La vingtaine : années brûlantes, accablantes, orageuses, luxuriantes, pendant lesquelles on apprécie la journée sur le soir, quand elle est finie, en s’épongeant le front, années pendant lesquelles le travail nous semble ardu, mais nécessaire, — elles sont, de vingt à trente ans, l’été de la vie.
De trente à quarante, en revanche, elles en sont le printemps : un air tantôt trop chaud, tantôt trop froid, toujours agité et stimulant, une sève jaillissante, partout une profusion de feuilles, de floraisons embaumées, beaucoup de matinées et de nuits enchanteresses, un travail pour lequel c’est le chant des oiseaux qui nous éveille, un vrai travail à cœur joie, sorte de jouissance de notre propre vigueur, renforcée par un avant-goût d’espérance.
Enfin la quarantaine : années mystérieuses comme tout ce qui tient immobile ; semblables à un haut plateau vaste et montagneux sur lequel court un vent frais ; avec un ciel limpide et pur par-dessus, son regard posé sur le jour et jusqu’au cœur des nuits avec toujours la même clémence ; c’est le temps de la récolte et de la plus cordiale gaieté ; c’est l’automne de la vie."


Nietzsche, F. Humain, trop humain : un livre pour esprits libres ; texte établi par G. Colli et M. Montinari ; traduit de l’allemand par Robert Rovini. [Paris] : Gallimard, 1991, c1988 (cote : 193 N677h